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Police : la machine grippée depuis 6 ans.

Aucune nomination n’a été faite dans le corps depuis février 2014. Les départs et les décès ont laissé des postes vacants, où des intérimaires sont devenus provisoirement définitifs.

Fin d’année 2020. Fêtes et célébrations ont de tout temps ponctué cette période chez les Camerounais, et particulièrement dans certains corps de métier où c’est souvent l’occasion d’arborer de nouvelles médailles synonyme de promotion. Le corps de la police camerounaise fait partie de ces privilégiés, mais depuis 6 ans déjà les valeureux policiers rongent leur frein et piaffent désormais d’impatience, et pour cause, depuis février 2014, il n’y a pas ce qui est appelé communément « les mouvements » dans le corps, pas de nominations. Pourtant, les nominations participent du redéploiement du personnel, du renouvellement de l’instance dirigeante du corps pour un meilleur rendement et surtout fait partie des récompenses des plus méritants, même si ces nominations restent discrétionnaires.

Ce ne sont pourtant pas les raisons de procéder à ces nominations qui manquent depuis 6 ans. Beaucoup d’eau a coulé sous le pont du corps de la police après les nominations de février 2014. Nombreux sont les responsables de la police qui sont décédés, et ceux qui ont atteint la limite d’âge pour la retraite. Comme conséquence, des postes sont restés vacants ou occupés par des intérimaires. On cite par exemple la Direction des ressources humaines où le directeur et son adjoint sont déjà à la retraite, les inspecteurs généraux, dont l’un bénéficie d’une prorogation depuis 4 ans, l’Ecole nationale supérieur de la police dirigée par un intérimaire, pareil pour la délégation régional du Centre à Yaoundé. Dans la capitale politique toujours, le commissariat central numéro 1 est dirigé par un intérimaire depuis le décès du commissaire divisionnaire HandyLikound Joseph Pascal le 2 mai 2020. Dans la région du Littoral, le délégué régional a atteint la limite d’âge pour la retraite depuis 2018 mais est toujours en poste, son adjoint lui aussi a atteint la limite d’âge et a plié ses bagages laissant son fauteuil à un intérimaire. Le Groupement mobile d’intervention numéro 2 à Douala n’a pas toujours de commandant depuis le décès le 6 janvier 2018 du titulaire du poste, le commissaire principal Gérard Aldjim, alors âgé de 48 ans seulement.

Douala la ville des intérims

Dans la ville de Douala plus précisément, le phénomène d’intérimaire est encore plus criard. Au commissariat central numéro 1 où l’adjoint liquide les affaires courantes depuis mars 2020 que le titulaire est en retraite, au commissariat de sécurité publique du 4eme arrondissement, ou du 2eme arrondissement aussi où le commissaire est retraité depuis 2018. Au Commissariat spécial du 2eme arrondissement, la place laissée par le commissaire divisionnaire Roger NkoaEkobena emporté par la mort le 27 juillet 2020 reste occupée par un intérimaire. Au commissariat de sécurité publique du 3eme arrondissement, les intérimaire se succèdent, c’est aussi un intérimaire qui dirige le commissariat de sécurité publique du  8eme arrondissement,  tout comme les commissariats spéciaux de Douala 3eme et Douala 5eme, sans oublier que l’adjoint au commissaire central numéro 2 est à la retraite et le poste non encore pourvu. Des exemples sont légion dans l’ensemble, et il n’est pas exagéré de dire que cet état de chose créé un certain malaise dans le corps.

Machine rouillée ou trop huilée ?

Mais qu’est ce qui bloque les nominations dans le corps de la police, pour la rendre plus dynamique ? Difficile de la dire. Toujours est-il qu’elles relèvent de la responsabilité du président de la république, au terme du décret n° 2001/065 du 12 mars 2001 portant statut spécial du corps des fonctionnaires de la Sûreté Nationale. Selon l’article 3 «  (1) Le corps des fonctionnaires de la Sûreté nationale est placé sous autorité directe du président de la République. (2) Le président de la République nomme aux différents grades et emplois du corps de la Sûreté nationale. Il peut déléguer une partie de ce pouvoir à certaines autorités. » On lit plus loin à l’article 11 que « le fonctionnaire de la Sûreté Nationale a droit, chaque année, à une notation », ou à l’article 12 qu’il a droit à la retraite. Le articles 70 et suivant précisent qu’il peut bénéficier d’un avancement d’échelon ou de grade en fonction de l’ancienneté et de la notation, lequel avancement intervient tous les deux (02) ans en cas de notation favorable, et est de droit au bout de quatre (04) ans d’ancienneté dans le même échelon, sauf retard procédant d’une sanction disciplinaire. Les promotions et les récompenses sont également prévues dans ce décret, à ne pas confondre avec les nominations qui restent discrétionnaires, ce qui n’enlève rien à leur nécessité.

Bouche cousue

Souffrir en silence, c’est ce qui reste à ces hommes en tenue. L’article 21 du décret de 2001 dit à l’alinéa 4 «  Le fonctionnaire de la Sûreté nationale doit, en tout temps, qu’il soit en service ou non, s’abstenir de tout acte, geste, parole ou manifestation quelconque de nature à discréditer les institutions nationales, le corps de la Police, ou à troubler l’ordre public. »  Cette obligation de garder le silence ; quelle que soit la souffrance, au risque de discréditer le corps de la police et tomber sous le coup de cet article, est un supplice supplémentaire pour les policiers. Le risque est alors grand que le service en soit affecté, et l’on peut comprendre l’attitude de certains policiers qui s’acharnent sur des personnes interpellées, comme s’ils avaient un compte à régler avec ces personnes. On dirait qu’ils sont en train de se défouler. La rage avec laquelle les manifestants sont maltraités dans les rues ces dernières années peut en être une illustration. En plus du silence au niveau individuel, il n’y a pas de possibilité que les intérêts des membres du corps de la police soient défendus par un syndicat ou une association.  Les articles, 29, 30 et 31 du décret sont sans équivoque  « 29 : Il est interdit au fonctionnaire de la Sûreté nationale en activité d’adhérer à des groupements ou associations à caractère politique ou syndical.  30 : Le fonctionnaire de la Sûreté nationale ne peut, sous réserve des nécessités de service, prendre part aux réunions ou manifestations à caractère politique ou syndical. 31 : L’exercice du droit de grève est incompatible avec la qualité de fonctionnaire de la Sûreté Nationale. » Une disposition d’ailleurs en contradiction avec celle de la loi fondamentale qui est la Constitution, qui précise dans le préambule que « la liberté de communication, la liberté d’expression, la liberté de presse, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté syndicale et le droit de grève sont garantis dans les conditions fixées par la loi » Dans un contexte pareil, le corps de la police se trouve aujourd’hui pris au piège de l’obligation de garder le silence et le fort envie de réclamer ses droits. Souffrir en silence, c’est l’attitude sage à adopter,  en espérant que le président de la république veuille bien libérer la fumée blanche attendue depuis bientôt 6 ans.

Roland TSAPI