Institutions démocratiques : la carte politique se redessine.
Comme une sangsue, l’Undp ronge progressivement le terrain politique, et se positionne désormais comme la deuxième force sur l’échiquier politique institutionnelle. Mais aura-t-il les coudées franches pour implémenter sa politique.
Les premières élections régionales au Cameroun ont eu lieu le 6 décembre 2020, et les résultats proclamés 72 heures plus tard ont permis de redessiner la carte politique, pour ce qui est des collectivités territoriales décentralisées. Si dans l’ensemble le parti au pouvoir reste dominant, il est évident qu’il subit désormais un recul considérable dans le septentrion, au profit de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès de Bello Bouba Maïgari, ministre du Tourisme et des loisirs. Chaque région devait avoir 70 élus issus des partis politiques, et d’après les résultats, le Rdpc a pris tous les 70 dans 6 régions à savoir le Sud, le Sud-Ouest, le Nord-Ouest, le Littoral, le Centre et l’Est. Il s’est partagé les élus dans 4 régions, à savoir l’Extrême Nord où il a eu 58 élus et l’Undp 12, le Nord où il s’en sort avec 56 élus, 12 pour l’Undp et 2 pour le Front pour le salut national de Issa Tchiroma Bakary. A l’Ouest l’Udc de Tomaïnou Ndam Njoya a obtenu tous les 17 élus du Noun et laissant les 53 restants de la région au Rdpc, qui a plié l’échine dans l’Adamaoua en grignotant 14 élus devant l’Undp qui s’en sort ici avec 56 élus. Sur les 700 élus au total, le Rdpc obtient 613, l’Undp 68, l’Udc 17 et le Fsnc 2, et sur les dix régions, le Rdpc contrôle les conseils dans 9 et l’Undp passe maître dans une, la région de l’Adamaoua.
L’Undp en troisième larron
Si la victoire du Rdpc n’est pas une surprise dans le contexte actuel, celle de l’Undp en est une, et même une curiosité. Petit à petit en effet, le parti de Bello Bouba est en train d’imposer sa loi dans la région de l’Adamaoua depuis les dernières élections locales. Dans l’ensemble à ce jour, le parti compte 18 maires d’arrondissement, 1 maire de ville, 2 sénateurs, 7 députés et contrôle une région, se positionnant désormais comme la deuxième force politique sur le plan institutionnel, reprenant ainsi la place qu’il avait occupé depuis 1993 à l’issu des premières élections locales pluralistes au Cameroun, bénéficiant de l’espace laissé par le Social democratic front, lequel avait repris cette position dès 1996 et l’occupait encore jusqu’aux élections législatives et municipales du 9 février 2020. Une des curiosités de la montée de l’Undp, c’est que le parti s’impose ainsi dans une région qui n’est pas celle d’origine de son leader. Bello Bouba Maïgari est en effet natif de Bashéo dans la région du Nord, et c’est dans la région de l’Adamaoua que son parti a le vent en poupe et a même réussi à faire reculer le Rdpc qui dispose de toute la machine étatique pour s’imposer sur le territoire. Est-ce là une preuve peut-être que les partis ne sont pas toujours « villagistes » et s’apparentent à leur leader ? Si c’est le cas, ce serait un point de gagné pour l’éducation politique au Cameroun, mais il faut reconnaître que l’Undp a su depuis les dernières élections locales, tirer profit des guerres internes du Rdpc dans la région de l’Adamaoua.
Ici en effet, la jeune génération politique militante ou sympathisante du Rdpc a refusé de continuer à se laisser tirer par le nez par les aînés, et prenant appui sur une circulaire du secrétaire général du parti Jean Nkuété qui demandait que pour les investitures, priorité soit donnée aux jeunes, ils ont décidé de prendre leurs destins en main. Mais les caciques n’en avaient pas encore assez du pouvoir et voulaient s’y maintenir, ce qui a provoqué non seulement une démission collective des jeunes dans certaines communes, mais aussi favorisé un vote sanction. Les votes « naturellement » acquis aux Rdpc par le passé sont allés à l’Undp, sans compter que le Pcrn qui a la sympathie des jeunes jouait aussi les troubles fêtes. Et comme en politique il y a toujours un perdant, le gagnant cette fois est le parti de Bello. Mais pour quoi faire et pour combien de temps ?
Et après ?
Quelles que soient les circonstances qui ont concouru à cette montée, les faits sont désormais là. Mais être la deuxième force politique du pays dans les institutions ne veut pas dire grand-chose en soi, si les acteurs n’y mettent pas de la consistance, car les institutions ne valent que par ceux qui les animent. On l’a vu lors du règne du Sdf. L’enjeu majeur aujourd’hui comme hier reste le bien-être des populations à la base et l’amélioration des conditions de vie. L’Undp aura-t-il les moyens de les offrir, cela reste le vrai challenge. Surtout que le parti est dans une alliance de gouvernement « pour la préservation de la paix et pour la promotion de la démocratie » depuis 1997, dont les retombées 23 ans plus tard restent transparentes, avec des termes qui n’ont jamais été respectés par le pouvoir. L’Undp devait en effet, à la signature de la plateforme s’en sortir avec 4 porte feuilles ministériels et des postes de directeurs dans la haute administration. A ce jour seul le président du parti semble s’en tirer à bon compte à ce niveau. Au niveau local également, il n’est pas certains que le parti aura les coudées franches pour implémenter sa politique sociale et participer au développement. Les instances comme la mairie et le conseil régional restent chapeautées par une tutelle administrative venue du pouvoir central, donc du Rdpc, qui n’a pas intérêt, sur le plan politique, à ce que l’Undp gagne davantage de terrain. D’où la rudesse du combat qui attend le parti qui, s’il ne fait pas attention et met plus d’ingéniosité, pourra se rendre compte très vite que sans aucun statut officiel qui consacre le leader de l’opposition, cette position reste une coquille vide sous le renouveau, tous juste bonne à assurer le confort à quelques élus, mais ne garantissant rien dans la durée. L’erreur serait de dormir sur ses lauriers en se disant qu’on est la deuxième force politique, on pourra se réveiller trop tard, car en politique, la campagne pour les prochaines élections commence toujours dès que les autres sont achevées.
Roland TSAPI