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Figure : Paul-Bernard Kemayou, l’intérêt national au-dessus d’un trône.

Il fait partie des chefs traditionnels de la région de l’Ouest qui ont sacrifié les privilèges du trône pour des valeurs nationalistes. Héroïsme méconnu par la nation et même son village

Dans l’histoire du Cameroun, il y a des chefs traditionnels qui ont mis l’intérêt du pays en avant dans leurs actions et engagements, refusant tout compromis avec le pouvoir malgré des offres qui se transformaient facilement en pression. Cela leur a souvent coûté leur trône, surtout à l’époque coloniale où les administrateurs français n’hésitaient pas à monter un prince contre son frère au trône, pour finir par déstabiliser la chefferie  et remplacer le chef politiquement incorrect. Le 21 avril 1967, le chef supérieur Bangou subissait le même sort, destitué par un arrêté des administrateurs coloniaux à cause de ses engagements pour la cause nationaliste. Il s’appelait Paul Bernard Kemayou.

Fils du roi Sinkep Charles et de Mefeu Youmbi, Paul-Bernard Kemayou naît à Bangou en 1938. Il fait ses études primaires à l’école de Bangou Carrefour, la seule école du district à cette période. Élève brillant et bon footballeur, il suscite tôt l’admiration des autres jeunes qui, en dehors du sport, vont partager peu à peu des visées politiques communes. C’est aussi dès l’école primaire qu’il fait la rencontre d’Ernest Ouandié futur leader de l’Union des Populations du Cameroun(UPC), qui sera plus tard son compagnon de lutte. D’après les archives ouvertes, il accède au trône à la mort de son père et devient à 21 ans le douzième roi de Bangou. Son règne est marqué tant par l’ouverture de Bangou vers l’avenir que par un regain de fierté face à l’administration coloniale. Roi innovateur, il est le premier dirigeant de l’Ouest-Cameroun à s’acheter une automobile, dont l’épave est toujours visible à l’entrée du palais royal à Bangou. L’administration coloniale voit alors dans le jeune roi, admiré de tous, un support pour sa politique. Paul-Bernard Kemayou est ainsi nommé auxiliaire d’administration. L’administration coloniale profite aussi du fait qu’il est propriétaire d’une voiture pour lui donner la charge du ravitaillement des troupes coloniales stationnées à Bangou Ville.

L’intérêt national prime sur le trône 

Mais le chef n’est pas dupe, au contraire. Les avantages que lui procure sa proximité avec les colons ne le détournent pas des missions premières de protections de son peuple et de son pays. Il met à profit cette position qui lui permet d’être en contact permanent avec l’administration coloniale, pour obtenir des informations utiles pour la résistance. Il est donc un maillon essentiel de la résistance, non seulement grâce à son influence sur la population qui admire son roi, mais aussi grâce aux informations sur le ravitaillement des troupes coloniales dont il dispose. Dans la lutte, lors de ses descentes sur le terrain, lui et ceux appelés « maquisards » s’habillaient en robes de femmes pour ne pas attirer le moindre soupçon. Mais quand l’administration coloniale française découvre qu’il est un important membre de la résistance, il est accusé d’entretenir des réseaux d’intelligence avec l’ennemi et le rouleau compresseur est enclenché contre lui. Le  haut-commissaire de la République française au Camerounnomme le 16 avril 1957 comme chef de poste administratif de la ville de Bangou un certain Quezel Colomb, qui vient d’Indochine. Il a pour mission de régler le compte de Paul Kemayou. Le chef est finalement destitué par un arrêté du 28 avril 1967 et remplacé par  Christophe Djomo. Bien évidemment, celui-ci est boudé par les populations qui multiplient des actes pour manifester leur mécontentement. La situation se dégrade. Le rapport confidentiel de la sureté à Bafoussam, portant le numéro 484/Rg datant du 8 décembre 1959 décrit la situation en ces termes « A Bangou, les enlèvements d’hommes et de femmes se poursuivent, mais personne ne les portent à la connaissance des autorités. Les bandes terroristes s’y promènent de jour comme de nuit et dictent leur loi à tout le monde. Le chef Bangou lui-même, Kemayou Paul Bernard n’a plus été revu et on pense qu’il serait aussi au maquis. » Les populations iront même jusqu’à incendier le palais royal pour contester le nouveau chef qui est qualifié de « fingong », celui qui vend le peuple.

Engagement même en exil

Entre temps, Paul Bernard Kemayou, que les colons ne trouvent pas, est condamné à mort par contumace. En effet, il avait échappé aux troupes coloniales en traversant la forêt sacré de son royaume à pieds, et continua pour se réfugier comme beaucoup de nationalistes au Cameroun oriental. Il arrive à Kumba en 1961 et réussit à s’enfuir vers le Ghana grâce dit-on, au soutien financier de la communauté Bangou de la région de Kumba. À Accra, il continue, avec d’autres résistants, sous la houlette de Kwame Nkrumah, son engagement anticolonialiste. Cet engagement est attesté dans les échanges entre son ancien camarade d’école primaire Ernerst Ouandié, qui se trouve au même moment que lui à Accra, et Felix Moumié qui se trouvait à Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) sous la protection du Premier ministre Patrice Lumumba.  À la suite de l’obtention d’une bourse de perfectionnement de la République Populaire de Chine, Paul-Bernard Kemayou continue son exil vers l’empire du milieu où il reste de nombreuses années après avoir poursuivi des études en médecine. Ne pouvant résister à l’appel de son continent, il décide au péril de sa vie d’y retourner, mais choisit la Guinée de Sekou Touré qui offre alors sa protection aux résistants anticolonialistes de tous les horizons.

Panafricaniste convaincu, Paul-Bernard Kemayou profite de son asile guinéen pour s’investir dans la construction de la jeune République de Guinée. Il prend fonction à l’Institut Central de Coordination de la Recherche et de la Documentation de Guinée où il officie, entre autres, comme expert au service des Archives Nationales. Il reste simultanément actif dans la résistance au pouvoir néocolonialiste car il est, jusqu’à son assassinat, le représentant permanent de l’UPC à Conakry. Le 17 octobre 1985 en effet, il décède des suites d’un empoisonnement à l’hôpital Donka de Conakry peu de temps après avoir reçu la visite d’une délégation du Cameroun. Le 11 mai 1995, le rituel d’inhumation du défunt roi à Bangou est interrompu par des éléments de l’armée camerounaise qui ordonnent à des prisonniers transportés sur le site par l’armée de prendre possession du cercueil. Depuis sa mort en octobre 1985, Paul-Bernard Kemayou n’a donc toujours pas eu d’obsèques dignes d’un chef d’abord, et d’un héros de sa stature. Plus grave, les populations restent à ce jour divisées sur le retour de la succession au trône à la lignée Kemayou, certains, ceux-là qui contribuent à enterrer la mémoire des héros nationaux, oublient qu’il avait été contraint de quitter la chefferie, son seul crime étant qu’il avait le Cameroun à cœur. Paul Bernard Kemayou qui a eu tous les honneurs en Guinée Conakry, est méconnu dans son pays, pire encore, dans son village, où le seul souvenir de lui semble être sa vielle voiture abandonnée à l’entrée du palais, si elle n’a pas encore été enlevée !

Roland TSAPI