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Drame de Dschang : l’autre conséquence de la corruption à ciel ouvert.

53 corps calcinés sur la route, par le carburant dont la contrebande est savamment entretenue, et les pauvres payent

Actualité oblige, l’éditorial consacré à une figure est reportée à demain, pour nous donner le temps de revenir sur cet accident de Dschang d’une rare violence et que l’on peut assimiler à un barbecue humain, une séance de braise sur la route.

Déjà, dans la nuit du 26 au 27 décembre 2020, un bus de transport des passagers entrait en collision avec un camion à Nomale sur la route nationale numéro 4 reliant Yaoundé à Foumbam. Le bilan était de 35 morts et 18 blessés. Les blessures de ce drame étaient encore béantes dans les cœurs et les familles, que la scène s’est reproduite un mois plus tard, aux mêmes dates et heures peut-être, les acteurs étant presque les mêmes aussi. Dans la nuit du 26 au 27 janvier 2021, un bus de transport parti de Douala pour Dschang était presqu’arrivé à destination qu’il est entré en collision avec un camion toujours, avec en prime le feu qui s’est déclenché. Cette fois les passagers n’ont pas seulement été tués, mais brûlés aussi, comme si c’était une vengeance, ou une volonté d’une main invisible de bien faire les choses. 53 morts au compteur, ou plutôt, les pompiers en ont sorti 53 blocs de charbons méconnaissables, en plus de 29 blessés. Des familles entières décimées. Ce matin du 27 janvier 2021, une dame à son lieu de service à Douala en voulait à sa hiérarchie de ne lui avoir pas accordé une permission d’absence pour voyager à l’occasion des funérailles de sa mère. Elle aurait dû être dans le même bus, mais faute d’accord elle y avait accompagné sa petite sœur et ses 4 enfants, et l’épouse de son frère cadet avec trois enfants. Elle ne savait pas qu’elle envoyait ainsi une partie de sa famille au feu, et que le refus de sa hiérarchie qu’elle a considéré comme de la méchanceté, l’a sauvée. Un exemple parmi tant d’autres. Comment est-on arrivé là une fois de plus ?

Les mêmes causes…

Les adeptes du paranormal voient dans le monde spirituel un lien entre les deux accidents, dont la particularité est d’emporter massivement des vies humaines. Dans le monde réel, l’on explique que les faits sont survenus à suite d’un choc entre le bus de transport et un camion transportant du liquide « inflammable », pour emprunter à l’expression du ministre des Transports, lequel liquide a envenimé la situation et rendu les victimes non identifiables à vue. Le ministre des Transport dans son communiqué rendu public à cette occasion, a une fois de plus appelé les usagers de la route au respect du code, en annonçant dans le même temps l’ouverture d’une enquête pour déterminer les responsabilités. En attendant, il saute à l’œil nu que ce qui est arrivé à la falaise de Dschang n’est autre que la conséquence de la cupidité humaine, nourrie par la corruption érigée en mode de fonctionnement. Pour le comprendre il suffit de se poser quelques simples questions : d’où venait ce carburant, pourquoi était-il transporté dans des fûts par un camion marchandise, où allait-il, comment le camion transportant un « liquide inflammable » parvient à traverser les barrières de contrôles ?

S’agissant de la provenance du carburant, il ne fait aucun doute que c’est le produit du vol qu’opèrent les trafiquants des produits pétroliers, qui siphonnent le liquide des camions citernes le long des routes ou dans des endroits cachés aménagés à cet effet, avec ou non la complicité des conducteurs. L’autre piste, c’est celle de la route de la contrebande par voie de mer ou terrestre. Le carburant de fraude arrive par une « alchimie camerounaise » à atteindre les côtes maritimes et les frontières terrestres, puis est ensuite acheminé sur le territoire pour distribution. Cette activité de contrebande et de soustraction des produits des camions citernes n’est pas inconnue des forces de maintien de l’ordre, mais elle prospère. Dans le cas de ce drame, le carburant est transporté dans des fûts par un camion marchandise à des fins de dissimulation, le transport des produits pétroliers et toute autre substance inflammable étant strictement encadré et soumis à une batterie de normes de sécurité et de précaution, du fait justement qu’à la moindre étincelle la situation échappe à tout contrôle. Parlant de contrôle, comment dans le cas d’espèce, un camion marchandise a pu traverser une patrouille mixte à l’entame de la falaise à la sortie de la ville  de Dschang? Si l’enquête dont parle le ministre des transports est sérieuse, elle devrait commencer par interpeller tous les éléments de police et gendarmerie qui constituaient la patrouille mixte postée à ce poste de contrôle cette nuit du 26 au 27 janvier 2021. Sur instruction ou sur initiative personnelle, ils ont laissé passer une bombe, qui n’a pas tardé à exploser quelques kilomètres plus loin sur la route serpentée de la falaise.

…connues et ignorées

Et à la question de savoir où allait le carburant meurtrier, il suffit de jeter un coup d’œil sur les bordures des routes à Douala, dans d’autres villes ou le long des axes routiers, pour se rendre compte que le carburant se vent dans des bouteilles. Le phénomène est décrié depuis des mois et des années, des médias en ont fait des dossiers et des reportages, et faisant parlers les hommes et femmes qui s’adonnent à cette activité, qui expliquaient parfois leurs circuits de ravitaillement. Mais les pouvoirs publics restent insensibles. Cela se fait sous le nez des autorités policières et de la gendarmerie, les autorités administratives sont au courant que le carburant se vend dans la rue, mais il se vend. L’activité prospère, on en transporte dans des camions de sable, il est conservé dans des garages de fortune dans des domiciles. C’est parce qu’en aval les distributeurs de la rue se multiplient et mènent leurs activités en toute quiétude, qu’en amont le trafic se porte bien. C’est comme la drogue, avec les fournisseurs et les dealers, couvert par des parrains anonymes. Si cela avait été interdit et sévèrement puni le phénomène n’aurait pas prospéré, et on n’aurait sans doute pas eu ce camion transportant du carburant de contrebande qui a rencontré le chemin du bus.  Une fois de plus, le drame de Dschang n’est pas un accident, il est la conséquence d’une succession de négligences humaines. La conséquence est d’autant plus désastreuse que cette fois où les corps ont fini calcinés, augmentant à la douleur des familles qui non seulement ont perdu des proches, mais devront souffrir encore de ne pas les enterrer dignement. Un refus de faire son travail, une négligence aussi petite soit-elle peut avoir des conséquences désastreuses. Le drame de Dschang en est encore une parfaite illustration, qui interpelle, encore et encore.

Roland TSAPI