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Décentralisation: la longue marche vers les régionales

Enfin, les conseils régionaux se mettent en place. Le chemin aura été long, l’attente aussi. Pour quelle fin, dans un contexte où d’autres instances élus n’ont servi jusqu’ici qu’à recaser quelques amis politiques

26 ans, c’est le nombre d’année qu’il a fallu aux conseils régionaux pour arriver à maturité dans le ventre de la démocratie camerounaise. Conçus depuis 1996 et introduits dans la Constitution, la gestation a été longue et périlleuse. En 2004, la loi n° 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions dessinait déjà la forme. Elle précisait notamment à l’article 2 que « (1) La région est une collectivité territoriale décentralisée constituée de plusieurs départements. (2) La création des régions, la modification de leur domination et de leur délimitation s’opèrent conformément aux dispositions de l’article 61 de la Constitution. » Le même jour, était également voté la loi 2004/17 portant orientation de la décentralisation, qui fixait les règles générales applicables en matière de décentralisation territoriale, et précisait à l’article 2 que « (1) La décentralisation consiste en un transfert par l’Etat, aux collectivités territoriales décentralisées, de compétences particulières et de moyens appropriés », tout en précisant à l’alinéa (2) que « la décentralisation constitue l’axe fondamental de promotion du développement, de la démocratie et de la bonne gouvernance au niveau local. » 4 ans plus tard, en 2008, par décret n° 2008/376 du 12 novembre 2008 portant organisation administrative de la République du Cameroun, le président Paul Biya abolissait l’appellation « provinces » qui désignait les plus grandes unités administratives, au nombre de 10 depuis l’éclatement de la grande province du Nord le 20 août 1983 donnant naissance à la province de l’Adamaoua et à celle de l’Extrême Nord. Les provinces prenaient donc à partir de 2008 la dénomination de « régions. » Mais ce fut juste un changement de dénomination, qui n’avait finalement rien à voir avec les régions telles que définies par la loi et à la tête desquelles devaient se trouver des Président de région.

Organes

En 2008 également, c’était la naissance du Conseil national de la décentralisation, par décret n° 2008/013 du 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement de l’organe. Les missions qui lui étaient assignées étaient, suivant l’article 2, le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre de la décentralisation. A ce titre, il soumet au Président de la République le rapport annuel sur l’état de la décentralisation et le fonctionnement des services locaux, émet un avis et formule des recommandations sur le programme annuel de transfert de compétences et de ressources aux collectivités territoriales décentralisées, ainsi que sur les modalités desdits transferts. Le Conseil placé sous la présidence du premier ministre, avec pour membres les représentants de presque tous les départements ministériels, a été présidé de 2008 à 2009 par Ephraïm Inoni, de 2009 à 2019 par Philémon Yang et depuis 2019 par Dion Nguté. Toujours dans la longue marche vers la décentralisation, un ministère dédié a vu le jour depuis 2018, le ministère de la décentralisation et du développement local, dont le rôle est en gros de booster le processus de la décentralisation, qui ne s’était que fait trop attendre. L’année suivante, en 2019, la dotation générale de la décentralisation est passée de 10 à près de 50 milliards de Fcfa, et une recommandation du Grand Dialogue National souhaitait la voir portée à 15% au moins, du budget national.

Pendant ce balbutiement du gouvernement, les pays amis sont aussi venus au secours du Cameroun avec des programmes d’appui à la décentralisation, parmi lesquelles l’Organisation néerlandaise de développement Snv, Plan Cameroun, l’Institut régional de coopération et de développement Ircod, la Gtz ou la Kfw. Des programmes dont les objectifs étaient de transmettre au Cameroun, à tous les niveaux de la société les rudiments de la gouvernance locale, y compris la transparence au niveau de l’élaboration des budgets, de la prise en compte des populations bénéficiaires aussi bien que leur implication dans la mise en œuvre, ne serait-ce qu’au niveau du suivi.

Au petit trot

En mars 2019, le gouvernement a introduit à l’Assemblée nationale un projet de loi fixant le nombre, la proportion par catégorie et le régime des indemnités des conseillers régionaux, qui fut adoptée et promulguée. Les régions devraient avoir chacune 90 conseillers, dont 70 délégués départementaux élus par les conseillers municipaux et 20 représentants du commandement traditionnel élu par leurs pairs. Cette loi a été complétée le 2 septembre 2020 par le décret 2020/ 526 du président de la république, fixant le nombre de conseillers régionaux par département et par catégorie. De plus en plus les choses se précisaient. 5 jours plus tard, le 7 septembre 2020, les collèges électoraux ont été convoqués pour le 6 décembre, en vue de l’élection, enfin des conseillers régionaux.

26 ans d’attente, d’hésitation, de réflexion pour la mise sur pied d’une instance prévue pour l’amélioration du cadre de vie des populations à la base. Ce temps de maturation peut présumer du peu de foi que lui accorde le gouvernement même, encore qu’elle arrive dans un contexte où d’autres instances démocratiques comme l’Assemblée nationale, le Senat ou les conseils municipaux peinent à s’imposer. Mais les conseils régionaux sont bien là désormais. Un trophée de plus à présenter comme gage du gouvernement du peuple par le peuple. L’inquiétude reste cependant la même. Que pourront bien faire les conseillers régionaux, alors qu’ils entrent en fonction dans des chambres avec portes et fenêtres étroitement surveillées par le pouvoir central, qui peut même les fermer purement et simplement ? Reste à espérer que les nouveaux représentants du peuple ne fassent pas regretter le temps mis à les attendre.

Roland TSAPI