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Figure : Joseph Pokossy Doumbé, l’éthique du pharmacien

Écrit par sur 13 mai 2021

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Décédé à 89 ans, il est l’un des pionniers de la profession de pharmacien au Cameroun, pour laquelle il a toujours milité en faveur de l’éthique et le respect du serment.

 

Il est le deuxième pharmacien à avoir installé une officine dans la ville de Douala en 1960, et a durant sa carrière lutté pour que cette profession conserve l’éthique sans laquelle elle devient dangereuse pour la vie humaine. Joseph Dipita Pokossy Doumbé est né le 21 août 1932 à Kaduna au Nigeria, de parents camerounais. Son père était le directeur adjoint des grands travaux de tout le grand nord du Nigéria. C’est là qu’il commence ses études primaires, apprenant l’alphabet en anglais. Mais sa scolarité est écourtée par le décès de son père, alors qu’il n’a que 7 ans. Sa mère est obligée de retourner au pays, et la petite famille se retrouve à Douala dans des conditions extrêmement difficiles. Il est obligé de reprendre sa scolarité en français, en apprenant en même temps la langue Duala. Il est alors inscrit à l’école principale d’Akwa, où il obtient le CEPE. En 1947. Ses études secondaires se font en France, où grâce à l’entregent de sa mère, il est inscrit au Collège Jules Ferry à Couloummiers en 1949, puis après le brevet d’études secondaire du premier cycle,  au Lycée Michelet à Vanves. Ce parcours est sanctionné par le Baccalauréat en sciences expérimentales en 1954. Il s’inscrit par la suite à la Faculté de pharmacie de Paris pour 5 années d’études et obtient en 1959 son diplôme de pharmacien. Il pense tout de suite à revenir au pays. D’après l’un de ses récits biographiques, il voulait encadrer sa mère d’une part et assurer la relève dans le domaine de la pharmacie au Cameroun d’autre part.

Remplacer le colon

Une fois au Cameroun, il se rend au ministère de la Santé et rencontre le ministre Kamdem Ninim à l’époque. Il lui fait clairement savoir qu’il vient remplacer les pharmaciens blancs au ministère. Son dossier n’avancera pas sous Kamdem Ninim, et quand ce dernier est remplacé par Arouna Njoya, le jeune pharmacien revient voir le nouveau ministre, qui à la franchise de lui révéler que son dossier n’a pas évolué parce qu’il a dit qu’il veut remplacer les blancs. « Vous les jeunes là, vous êtes malades, tu vas remplacer le blanc comment, le blanc est encore là ? Qu’est-ce qu’on va faire de toi, il faut aller t’installer.»   Lui qui voulait travailler comme fonctionnaire au ministère, se trouve obligé de revoir ses ambitions. Il bénéficie cependant de la politique d’encouragement des jeunes cadres locaux qui étaient en cours à l’époque, et reçoit la somme d’un million de francs Cfa pour démarrer son affaire de pharmacien. C’est ainsi qu’il rentre à Douala et ouvre la pharmacie d’Akwa, devenant ainsi le deuxième pharmacien camerounais installé à Douala, après Rodolphe Tokoto. Il se met humblement sous l’ombre de ce dernier et apprend le métier, conscient que ce qui est appris à l’école n’est que la fondation, c’est dans la vie active professionnelle qu’on monte les murs. Il intègre l’ordre des pharmaciens, et occupe assez facilement le poste de président du syndicat des pharmaciens, avant d’être plus tard comme son mentor, président de l’Ordre des pharmaciens. Profondément attaché à cette profession, il en défendait avec la dernière énergie l’éthique et le serment. En 1977 à Dakar, est créée Association pharmaceutique Interafricaine (API), il est désigné pour présider la première assemblée constitutive, au cours de laquelle le premier président est élu, un Sénégalais. Deux ans après, la prochaine assemblée a lieu au Cameroun.

Dans une édition de l’émission Manège du savoir  présentée par Alberthe Marie Tonye à la télévision d’Etat, le pharmacien raconte comment il a été négativement frappé par l’attitude de ses pairs camerounais au cours de cette assemblée : « c’est la première fois que je découvrais les replis identitaires. Parce que nous dans les années 60, Sandji, Panka, Emma Ottou, on n’avait pas de problèmes de tribalisme. Quand un avait un problème, tous s’en emparaient. Mais pour cette affaire de l’association pharmaceutique interafricaine, on a découvert des replis identitaires, des confrères hommes et femmes dont je tairai les noms, qui poussaient, voulant que le président soit de tel ou tel groupe ethnique. Fort heureusement, il y a des confrères transcendants, je pense au docteur Ngewa Omer, qui a clairement dit qu’il ne marchait pas dans cette logique, qu’on ne devait pas se laisser aller à cette histoire de tribalisme de bas étage. » C’est ainsi que Joseph Pokossy Doumbé fut porté à la tête de l’association. Pour cette profession, il regrettait au cours de cet entretien que certaines pharmacies sont aujourd’hui devenues des épiceries, mais dans l’ensemble il se consolait de ce que les jeunes pharmaciens, surtout ceux qu’il a encadré aient gardé une éthique de vie, et se félicite de ce qu’aujourd’hui la formation et l’encadrement des pharmaciens se fassent sur place au Cameroun.

Politique

Homme politique aussi, l’homme a été. Il fut remarqué par le président Ahidjo lors d’une visite à Douala, alors qu’il défilait à la tête d’un groupe de jeunes du parti. Ahidjo était surpris d’apprendre que c’est un jeune pharmacien mais qui était dans le parti, alors qu’à l’époque les jeunes intellectuels comme lui avaient tendance à rejoindre l’opposition, l’Upc notamment. C’est ainsi que Pokossy eut la faveur de tous les cadres du parti et membres du gouvernement, qui voyaient en lui un jeune qu’il fallait récupérer avant qu’il ne change d’avis. En 1962, alors qu’il venait d’installer sa pharmacie, on lui proposait déjà d’être maire de la ville. « Je ne pouvais pas commencer là où les autres finissent », confessait-il au cours de son entretien dans Manège du Savoir. Il intègre tout de même au niveau local le conseil municipal de la commune de Douala de 1962-1977, et au niveau national il est propulsé vice-président de l’Union camerounaise, qui deviendra plus tard l’Union nationale camerounaise, après absorption de tous les autres partis. Le 7 juin 1970, il est élu député à l’Assemblée Nationale Fédérale, et y siégera jusqu’en 1973. Après le départ du président Ahidjo, il reste actif dans le parti, et se fait une fois de plus remarquer par le président Paul Biya en 1982 quand il effectue sa première visite présidentielle à Douala. Ce dernier lui demande au passage, comme une blague, s’il peut lui faire confiance pour la ville de Douala. Pokossy Doumbé avait presque oublié cela, quand 5 ans plus tard, le 6 novembre 1987, il est nommé 1er Adjoint au délégué du gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Douala, et deux ans plus tard encore, le 13 avril 1989, il est porté à la tête de l’institution, et occupera le poste de délégué du gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Douala jusqu’au 27 février 1996. Membre  du Conseil Économique et Social depuis 1975, il entre au bureau politique du RDPC en juillet 1992. Il a été par ailleurs président du Comité de gestion de l’hôpital Laquintinie et président du Conseil d’administration des Aéroports du Cameroun. C’est avec ce titre qu’il a rendu l’âme le 28 avril 2021 à l’âge de 89 ans, laissant derrière lui une ville de Douala encore loin de son rêve, devenue d’après ses propres termes un véritable « foutoir. » Il laisse également une profession de pharmacien qui doit se repenser pour ne pas être noyée dans la contrebande, et en privé, une famille de 9 enfants qui font sa fierté, car disait-il, « ils ont tous fait des études supérieures, ils sont bien dans leur travail, mais aucun d’entre eux ne joue au fils à papa » Sur ce plan au moins il est parti avec le sentiment du devoir accompli.

Roland TSAPI 

 


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